Moby Dick terminé (après plusieurs mois eu égard à son volume), une pensée me vient: « probablement le plus grand roman qu’il m’ait été donné de lire ». Je partage cette hypothèse avec mon épouse et à sa question « ah et pourquoi? », je me rends compte que je n’ai pas de réponse claire à donner… Il est habituel de penser que cela se produit toujours envers ce que l’on aime le plus: l’impression que les mots que l’on trouve pour en parler sont tous insuffisants pour décrire l’émotion et l’admiration que l’on ressent. Oui, il y a sans doute cela, le sentiment que devant une telle oeuvre on ne peut que s’incliner, admirer, adorer peut-être… Se taire et vouloir d’une certaine façon que tout s’arrête devant l’événement de cette chose découverte. C’est ce type de sentiment qui nous prend sur un fameux pic ou sur une farouche côte. Le sentiment d’une immensité implacable, le sentiment « océanique » peut-être dont parlait Romain Rolland… Car de totalité il est question en effet dans ce chef d’oeuvre, comme si Melville avait voulu tout y mettre… Tous les genres : de la poésie (ses descriptions de l’océan et des jeux du ciel sont belles à pleurer) et du théâtre (ces chapitres où des personnages remarquablement dessinés conversent comme dans une tragédie grecque), jusqu’au roman d’aventures en passant par le traité typique d’un scientifique sur la baleine, la navigation et la « grande chasse ». Tout lui-même, c’est-à-dire tout l’humain devant le tout de la vie. Il y a du démiurge chez lui: une solitude incommensurable et un livre écrit comme un combat. C’est de reconnaissance enfin que l’on est rempli au terme de cette lecture, celle d’avoir ouvert et découvert un monde de littérature qui nous a nous-mêmes entamé, qui a fait brèche dans la banalité du quotidien et sondé des profondeurs inconnues jusqu’alors.