Veiller

Sentinelle, à quoi en est la nuit? Sentinelle, à quoi en est la nuit? La sentinelle dit: le matin vient, et aussi la nuit. Si vous voulez vous enquérir, enquérez-vous; revenez et venez”.
Livre du prophète Esaïe chap. 21, 11-12

Nous avons avec quelques autres fait une expérience unique d’accompagnement pour un ami ayant dû subir une intervention chirurgicale très invasive au niveau du crâne. Nous étions invités pendant tout le temps de la phase dite de « réveil » suite à un coma artificiel à lui laisser des messages sonores que l’équipe médicale faisait retransmettre au sein de la salle où il se trouvait. Musiques, poèmes, versets bibliques et prières se sont ainsi succédé selon le récit qu’il nous en a fait ensuite. Nous avions cette impression assez intense de pouvoir, même à distance, veiller auprès d’une personne placée pour quelques heures dans un espace incertain entre mort et vie. Être comme une communauté de vivants qui retient l’un des leurs dans l’espace qu’ils partagent.

 

Marcher vers la paix

pp-chalamMagnifique marche ce jour sur les côtes du Jura: nous arpentons forêts et clairières jusqu’au Crêt de Chalam, d’où nous attend une vue circulaire sur l’ensemble du parc naturel du Haut Jura, vers l’ouest jusqu’au Beaujolais et vers les Alpes jusqu’au Mt Blanc. Ce nom m’intrigue, il provient sans doute du Shalom hébreu (il y a un Chalamont dans l’Ain qu’on rapporte à Salomon) et, fort de cette étymologie, un groupement citoyen a un jour de 2005 (?) apposé une plaque sur le banc situé au sommet appelant, en un langage simple, l’humanité à la paix. Je relie cette découverte à la recherche de la paix, en soi et dans le monde: elle ne vient toujours qu’au terme d’un effort, comme lors d’une marche en montagne. Elle peut rencontrer des découragements et des désillusions, quand au détour d’un clairière, nous nous croyons presque arrivés et nous levons alors les yeux vers une pente restante. Elle est persévérance et désir d’un aboutissement. Et bien sûr elle est récompensée: dans une escalade, par une sorte unique de satisfaction et par l’accès, en général, à une grande beauté de ce qui est à voir. Dans la paix intérieure et spirituelle (et politique peut-être dans une moindre mesure), le sentiment peut-être aussi qu' »on ne peut aller plus haut », que quelque chose se donne là qui ne se compare à rien, qu’on a atteint et en même temps qui n’est que don.

 

L’eau du ciel

En chemin, il boit au torrent, aussi relève-t-il la tête. (Ps 110, 7)

Belle rencontre, comme il m’est donné d’en faire si souvent: un paroissien pour lequel la vie est devenue marche sur un chemin incertain et sinueux qui me partage ce verset magnifiquement chanté dans le DIXIT DOMINUS de Händel… Il me parle de son attachement à la musique, de la façon dont elle lui permet de s’élever et l’entraîne dans un ailleurs, dans une éternité offerte par instants. Et il me dit qu’il est alors comme David qui boit au torrent et qui peut relever la tête, retourner à ses luttes et à ses charges. Et, comme en abîme, je me dis que c’est la Parole elle-même qui est pour nous ce torrent d’eau frais et ressourçant, qui nous permet de « relever » la tête face à ce que la vie nous impose.

De retour de la Cathédrale

Ce soir a eu lieu un événement auquel j’ai été invité à me rendre et à participer en tant que ministre de l’Eglise protestante de Genève: un rassemblement inter-dénominationnel (toutes Eglises et dénominations ecclésiales confondues) à la Cathédrale St-Pierre de Genève organisé à l’initiative du mouvement PRAYER 24/7 INTERNATIONAL. Ce mouvement, né au sud de l’Angleterre en 1999, veut rassembler les chrétiens de toutes traditions (ou sans traditions…) autour de la prière. Il se veut informel et aussi peu hiérarchique que possible. D’abord bien sûr, une évidence: aucun mouvement ne naît ex nihilo, ne naît sans influences et sans origines, même si l’effort consiste ici à les dépasser. Il y a dans PRAYER 24/7 les traces patentes d’une culture d’Eglise revivaliste, notables dans la « scénarisation » de la célébration, dans le genre musical de la louange et les paroles exaltées des chants, l’intervention d’un orateur basée d’abord sur son expérience personnelle (par son mandat d’orateur, tout tient justement à sa seule parole, qui n’est liée à aucune dimension symbolique), les appels répétés à la conversion, etc. Cela étant, je perçois dans ce mouvement le souffle d’une dynamique nouvelle qu’il serait injuste de négliger: premièrement, ce désir de rapprocher les chrétiens tous azimuts, non pas pour les rendre uniformes, mais profondément unanimes, c’est-à-dire unis dans l’essentiel, me touche et me rejoint. Ensuite, déduite sans doute de l’enseignement (assez répandu dans les milieux évangéliques actuellement) autour de la notion d’honneur – la volonté de trouver dans chaque être et par extension dans chaque groupe des raisons de lui accorder son estime et de lui démontrer son amour (agapè) – l’attitude bienveillante et amicale ressentie parmi les leaders du mouvement m’a aussi fait du bien. Me reste la question centrale, qui touche à la vocation de ce mouvement, celle de la prière. La chose n’est pas nouvelle dans l’Eglise et les mouvements monastiques en particulier en ont fait leur « pain quotidien » au moins depuis le IVème siècle ap. J-C., avec de nombreuses résurgences tout au long de l’histoire de la chrétienté (jusqu’à la naissance de la communauté de Taizé, peut-être la dernière expérience monastique régulière qui soit apparue). Alors, quoi de neuf sous le soleil? A côté des initiatives de type new monasticism (en général de petites cellules communautaires basées dans les quartiers de certaines villes et qui pratiquent la prière commune à un rythme régulier), PRAYER 24/7 est sans doute une autre expression typique d’un mouvement qui vise, un peu confusément, à mettre la prière au centre dans une société post-chrétienne. On peut s’interroger sur son titre, d’abord, qui est significatif, empruntant au langage commercial la visée d’offrir un accès continu à la prière. Est-ce souhaitable? Est-ce possible? (Je n’oublie pas que la majorité des courants monastiques alliaient la prière au travail suivant la devise « ora et labora »…)  Pas de surprise concernant son contenu, en revanche, qui s’étend de la prière de louange à l’intercession, en passant par la prière de confession du péché et de bénédiction: large, donc, et dérivé des traditions qui le précèdent, son originalité tient ainsi plutôt à la spontanéité de l’expression. J’en retire finalement à frais nouveaux cette conviction affirmée ici que dans l’Eglise tout commence et tout finit dans la prière (même si tout ce qui vient entre le début et la fin a son importance): à lire la Bible, je le confesse aussi alors que je l’ouvre sur un hymne à la Création qui n’est rien sinon une prière de louange et que je la ferme sur l’appel à la venue triomphante du Christ qui clôture l’Apocalypse.