Anatomie d’une chute (Justine Triet, 2023)

D’abord bien sûr ce titre. Il ne laisse pas indifférent, fait signe évident au Anatomy of a murder (traduit Autopsie d’un meurtre en français), le célèbre film de procès d’Otto Preminger sorti en 1959 avec la fameuse bande originale de Duke Ellington. La référence est là, en forme d’hommage, et nombreux seraient peut-être les fils à tirer entre l’un et l’autre chefs d’oeuvre. Ensuite, il y a la formidable « scenery » de ce chalet de montagne dans la vallée de la Maurienne en Savoie. Isolé de tout, un peu en surplomb de tout, comme le voulait le couple de Sandra et de Samuel venus chercher un nouveau départ suite à l’accident survenu à leur fils Daniel alors qu’ils vivaient à Londres. Recommencer, dans un autre monde, et sauver ce qui peut l’être du passé. Mais le film montre dès l’abord que rien ne sera sauvé… La première scène nous prend immédiatement à la gorge: la tension d’une interview entre Sandra, avinée, et une journaliste qui ne peut pas s’achever car Samuel diffuse une musique à un volume extrême, un entêtant steel band qui reviendra souvent dans le film comme un air à la fois léger et désespéré. L’impossible dialogue comme métaphore des affres de ce couple en chute libre et qui ne trouve plus rien à quoi s’accrocher pour ne pas tomber. La seconde partie du film est celle d’un huis-clos de procès, terrible, où les intimités de la relation entre Sandra et Samuel sont peu à peu mises à nu, laissant voir l’histoire blessée de deux artistes en quête de reconnaissance et déchirés l’un par l’autre dans ce même besoin. Entre eux, un fils, Daniel et un chien nommé Snoop. Presque un seul personnage: Daniel est malvoyant et compte sur Snoop pour tous ses déplacements. Et si c’est par l’entremise d’éléments de l’enquête rapportés à ce chien que se dénoue, ou pour le moins se décide, l’acquittement de Sandra à la fin du film, il y aurait peut-être une analyse à en faire à partir de cet animal, filmé à la première et à la dernière scène du film. Naturellement privé de parole, il est comme un être-symbole de tout ce que ne peut pas se dire de la relation entre les êtres, de ce mystère de ce qui un jour nous attire vers une personne et ce qui un jour peut-être nous repousse d’elle. Et la dernière scène est magnifique, montrant Sandra couchée à côté de ce chien si doux, ne cherchant alors, à la fin de toute cette histoire qui reste une très triste histoire de ruptures, que cette tendresse si rare à laquelle nous sentons pourtant tous avoir droit.

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