Théorème, de Pier Paolo Pasolini (1968)

L’écrivain-cinéaste Pasolini réalise ici à la fois une oeuvre filmée et une oeuvre écrite, soit un roman du même nom publié la même année que le film. Un engagement fort, caractéristique de ce réalisateur, et une manière de dire: « ce que j’écris, je peux tout aussi bien le filmer, ce que je (dé)montre par la plume, je peux tout aussi bien le (dé)montrer par l’image ». Ne disait-il pas qu’il souhaitait par son art révéler la « réalité » et que celle-ci ne diffère pas, qu’elle soit symbolisée par des mots ou par des scènes filmées? Au demeurant, le mot même de « théorème », qui paraît, dans son milieu scientifique, si intellectuel et froid pour nommer une oeuvre d’art, porte en lui la racine grecque de la contemplation et du spectaculaire (que l’on retrouve dans théâtre par exemple) et il a donc toute légitimité pour désigner un film. Que donne-t-il à voir donc, ce théorème? D’abord ces intérieurs bourgeois, dont presque tout le film est fait, où évoluent des personnages isolés les uns des autres, une famille pourtant que rien ne semble tenir ensemble que les murs qui les enferment. Un jeu du dedans et du dehors, des jardins immenses et vides, des baies vitrées où passent des lumières superbes. Un personnage survient, il n’a pas de nom, se fait annoncer par télégramme et repartira sans crier gare suite à la réception d’une lettre. Qui est-il? Ne cherchons pas trop à le savoir, c’est son mystère même qui lui confère son intérêt. Il est essentiellement un être physique, filmé dans son regard, dans ses postures, dans les expressions sensuelles de son corps. A sa venue surviennent des transformations, chaque membre de la famille, ainsi que la domestique, se trouvant poussé dans ses retranchements. Un motif se répète: l’habillement réduit, refusé même, métaphore des apparences qui tombent en lambeaux, jusqu’à la scène finale où le père, Paolo, se retrouve criant nu dans un désert. Plusieurs scènes vaudront à Pasolini les outrages du public bien pensant: celles notamment qui suggèrent des rapports sexuels entre le visiteur et les membres de la famille. Pourtant, à bien y regarder, il y a peut-être moins à y voir que cela, ou peut-être davantage: comme si, plutôt que l’acte sexuel, on y trouvait une manière pour le visiteur de « couvrir » ces êtres perdus et seuls, dans une sorte de douceur pour ces Adam et Eve littéralement « découverts » dans leur errances. Le personnage d’Emilia, la servante (magnifique Laura Betti), reçoit dans le film un traitement particulier, elle qui retourne dans sa campagne suite au départ du visiteur, pour y devenir une espèce de sainte rurale, se nourrissant d’orties et terminant enterrée à un endroit où la ville vient manger la campagne pour faire naître une source à l’endroit de son inhumation.

Théorème, de Pier Paolo Pasolini (1968)

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